Lors d’une réunion du Gene Targeting Club (GTC), animée par Valérie Prouzet-Mauléon (CRISP’edit) en 2017, les membres découvrent un article présentant la technologie SHERLOCK (Specific High-Sensitivity Enzymatic Reporter UnLOCKing), outil de diagnostic des maladies utilisant CRISPR-Cas13.
« Cette technologie était annoncée avec une sensibilité importante » explique Béatrice Turcq, « pouvant concurrencer les techniques actuellement utilisées en clinique pour le diagnostic moléculaire. »
Les chercheurs de l’Équipe 11 – Modélisation des mécanismes de transformation et de résistance dans la leucémie décident de tester cette technologie sur le gène responsable de la leucémie myéloïde chronique : BCR::ABL1.
En parallèle, Sandrine Dabernat et Samuel Amintas (Équipe 08 – Biotherapies Génétique et Oncologie (BioGO) souhaitent également tester cet outil pour la détection des mutations du gène KRAS, dans le cadre du diagnostic du cancer du pancréas.
Stéphanie Dulucq, biologiste au laboratoire d’hématologie du CHU, indique que la technique de référence actuelle pour le suivi de la leucémie myéloïde chronique est la RT-qPCR : « cependant, celle-ci ne descend pas en dessous d’une sensibilité de 10-5 (0,001% de transcrit BCR::ABL1 résiduel). Avec la technique SHERLOCK, annoncée avec une sensibilité de 10-18- 10-21, nous espérions arriver à descendre en sensibilité avec des retombées potentielles en clinique. En effet, dans les tentatives d’arrêt thérapeutique initiées chez les patients traités depuis plus de 5 ans, en très bonne réponse moléculaire (transcrit indétectable ou positif très faible (<10-4.5), nous observons une rechute chez environ 50% des patients. Nous essayons de comprendre ces rechutes et trouver des marqueurs prédictifs avant la tentative d’arrêt. Nous pensions que la technologie SHERLOCK pourrait nous aider à prédire la rechute en détectant mieux les cellules tumorales résiduelles avant l’arrêt de traitement.»
Dans cet article, les chercheurs ont mis en œuvre la technologie SHERLOCK pour la détection de l'ARNm BCR::ABL1, et des réarrangements présents dans le gène EGFR, détectés dans les cancers du poumon à petits cellules et les glioblastomes. La spécificité et la sensibilité de la technique ont été évaluées sur des lignées cellulaires leucémiques et sur des échantillons de patients et comparées aux techniques de références.
« Alors que SHERLOCK avait précédemment montré son efficacité pour détecter l’insertion de séquences virales ou de mutations ponctuelles, nous avons montré pour la première fois que nous pouvons utiliser cette technologie pour détecter le produit d’une translocation : le transcrit BCR::ABL1, sans bruit de fond » explique Béatrice Turcq, « le tout avec un équipement limité et moins couteux que la PCR digitale. »
En parallèle de BCR::ABL1, l’équipe de Sandrine Dabernat et Samuel Amintas a également développé la détection par SHERLOCK d’altérations génétiques tumorales du gène de l’EGFR et a pu montrer des sensibilités équivalentes voire supérieures aux outils de diagnostic moléculaires conventionnels. La faisabilité de cette méthode a également été validée sur des échantillons d’ADN tumoral circulant de patients atteints de cancer du poumon.
Les chercheurs poursuivent maintenant ces travaux sur la détection de mutations ponctuelles du gène KRAS.
Dans le cancer du pancréas, la confirmation du diagnostic représente une problématique importante, comme l’explique Samuel Amintas : « Les prélèvements de ponction pancréatique peuvent se révéler non-contributif lors de l’analyse cytologique, ce qui retarde le diagnostic et la prise en charge du malade. En parallèle, 95% des cancers du pancréas présentent une mutation du gène KRAS. Nos travaux visent à développer des outils de détection sur des biopsies liquides pour faciliter le diagnostic du cancer du pancréas, notamment via l’identification de mutations du gène KRAS. C’est pour cette raison que nous nous sommes intéressés à la technologie SHERLOCK. Après une phase de mise au point sur des modèles cellulaires, nous allons bientôt intégrer à l’étude l’analyse d’une cohorte de patients ». Ces travaux sur le cancer du pancréas feront l’objet d’une publication prochaine.