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Réunir la philosophie et la science pour faire avancer la recherche sur le cancer

“Reuniting philosophy and science to advance cancer research” est le titre mais aussi le pari ambitieux de la dernière publication de Thomas Pradeu réunissant 38 auteurs et à laquelle de nombreux chercheurs du département SBM ont participé parmi lesquels Bertrand Daignan-Fornier (IBGC), Fridolin Gross (ImmunoConcEpT), Nicolas Larmonier (ImmunoConcEpT), Violaine Moreau (BRIC), Katie Sawai (BRIC) ou Vanja Sisirak (ImmunoConcEpT).

Publiée le

Cet article est né dans un contexte particulier, pouvez-vous nous raconter ?

Thomas Pradeu : En effet, cet article est né des quatre workshops « philosophie du cancer » que nous avons organisés à Bordeaux ou Arcachon, comme ce fut le cas pour le dernier.

Lors de ces workshops, nous nous interrogeons sur des questions fondationnelles sur le cancer comme « qu’est-ce que le cancer, peut-on proposer des théories novatrices sur le cancer, quand est-ce que le cancer est apparu »… Des orateurs prestigieux ont ainsi présenté des exposés orientés vers ces questions fondamentales, souvent peu évoquées dans les publications scientifiques.

Ce papier est fondé sur ces workshops mais ne représente pas des actes de colloque. D’ailleurs, l’article a été finalisé avant le dernier atelier organisé à Arcachon.

Quel est l’objectif de cet article ?

Thomas Pradeu : Cet article, réunissant une trentaine de chercheurs essaie de répondre à la question générale : « Que nous apporte l’introduction de la réflexion théorique dans la recherche sur le cancer aujourd’hui ? »

L’objectif de cet article est de questionner d’un point de vue conceptuel, théorique et philosophique le cancer afin de le comprendre et le guérir.

Comment avez-vous rédigé ce papier réunissant plus d’une trentaine d’auteurs ?

Thomas Pradeu : Lucie Laplane (Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et moi-même avons réalisé le travail de coordination de cet article.

Pour ce papier d’envergure, nous avons conçu la structure de la publication et avons demandé des retours aux contributeurs. Nous avons ensuite rassemblé les commentaires des auteurs qui étaient très divers puisque tous possèdent des expertises très différentes.

Cela a été une expérience très enrichissante mais représentant une charge de travail importante.

Par ailleurs, tous les contributeurs de l’article n’ont pas participé de la même manière ou avec la même implication : certains ont simplement commenté alors que d’autres ont pris en charge une section particulière.

Quelles sont les thématiques développées dans cet article ?

Thomas Pradeu : Cela n’a pas été évident de sélectionner six thématiques seulement ! Nous avons choisi des questions pour lesquelles il y a eu des apports conceptuels et théoriques importants ces dernières années.

Les thématiques que nous avons sélectionnées sont donc les suivantes : le rôle des mutations dans le cancer, l’évolution clonale dans le cancer, le cancer et la multicellularité, le microenvironnement tumoral, les rôles paradoxaux du système immunitaire dans le cancer et le rôle des cellules souches dans le cancer.

Quels sont les changements que peut apporter cet article dans les pratiques des chercheurs ?

Thomas Pradeu : Au quotidien, l’objectif principal des scientifiques est bien souvent de produire des données, oubliant parfois que les théories en biologie sont absolument essentielles. Cela peut créer un choc de culture entre ceux qui pensent que la théorie est au moins aussi importante que les expériences et ce pour qui ce n’est pas encore entré dans les mœurs. (Les physiciens, par exemple, reconnaissent depuis longtemps l’importance des théories tout autant que celle des données, tandis que les biologistes sont souvent réservés sur l’importance de la pensée théorique dans leur discipline).

Cet article, que nous avons construit sous forme de chapitres, va ainsi questionner les lecteurs et faire en sorte qu’ils se posent des questions conceptuelles et théoriques dans leur laboratoire. Je suis convaincu qu’il peut vraiment faire changer les pratiques dans les laboratoires. Je suis moi-même bien placé pour voir qu’au laboratoire ImmunoConcEpT, les gens s’approprient un certain nombre de pratiques conceptuelles, théoriques ou de modélisation.

Certains termes peuvent par ailleurs ne pas être utilisés de la même manière selon la spécialité de chacun. C’est le cas du terme « niche », il est alors intéressant de se questionner : « si je change de définition, est-ce que cela peut modifier ma pratique expérimentale ? »

C’est extrêmement intéressant de faire le détour par toutes les définitions possibles pour ensuite se demander dans sa propre recherche quelle définition on utilise, et pourquoi.

Notre objectif est de faire en sorte que les scientifiques s’interrogent sur leur manière de faire et la possibilité de le faire autrement.

Les pratiques cliniques peuvent également être questionnées même si cela reste plus difficile car nous nous situons très en amont des réflexions habituelles des biologistes.

Un exemple concret de ce qui est montré dans cette publication ?

Thomas Pradeu : Cet article donne plusieurs exemples des conséquences thérapeutiques que peuvent avoir les réflexions conceptuelles, théoriques et philosophiques que nous essayons de déployer.

Par exemple, les travaux de Lucie Laplane ont montré qu’il n’est plus possible de parler de « cellules souches cancéreuses » de manière absolue mais qu’il faut parler de degrés de « stemness ».

Ces derniers permettent de classifier les cellules souches en fonction de leur niche dans quatre grandes catégories. Elle a ainsi montré que selon la définition qui va être attribuée au terme « cellules souches », le traitement des patients va être considéré de manière différente.

Il est donc extrêmement important de clarifier les termes utilisés en science car des désaccords peuvent avoir des conséquences pratiques et thérapeutiques problématiques et dommageables, et c’est ce que nous montrons dans cette publication.

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