Léa Pechtimaldjian, François Moisan, Muriel Cario et leur équipe travaillent sur l’hémangiome infantile, une tumeur vasculaire bénigne qui apparaît chez les nouveau-nés. Fréquente mais généralement sans gravité, cette tumeur peut, dans 10 % des cas, provoquer des complications fonctionnelles importantes en raison de son volume.
« Cette tumeur a deux particularités majeures : une croissance très rapide pendant la première année de vie, puis une régression spontanée jusqu’à l’âge de 7 ans en moyenne », explique François Moisan.
Bordeaux est un site de référence sur le sujet, car c’est ici que le propranolol a été identifié dans les années 2007-2008 comme traitement de référence, avec des publications dans le NEJM en 2008 et 2015. Pourtant, jusqu’à présent, le mécanisme de régression de la tumeur restait mal élucidé.
Pour mieux comprendre les mécanismes d’involution, il fallait pouvoir observer la tumeur dans son ensemble. C’est là qu’intervient le travail de thèse de Léa Pechtimaldjian.
« Nous voulions observer l’évolution de l'architecture vasculaire des hémangiomes à différents stades », précise-t-elle. « Les coupes fines d’histologie, avec les techniques conventionnelles, ne permettaient pas de suivre l’organisation globale des vaisseaux. Donc, notre idée, c’était d’imager tous les vaisseaux dans l’entièreté de la tumeur et de déterminer s’ils se réorganisaient au cours de cette régression. »
Dans cette dynamique, l’équipe collabore étroitement avec le service de dermatologie pédiatrique du CHU de Bordeaux et avec le Dr. Marie-Laure Jullié du service d’anatomopathologie.
Adapter un protocole à la peau humaine
Inspirée des techniques de transparisation issues des neurosciences, l’équipe a adapté le protocole iDISCO aux tissus cutanés. « Le cerveau de souris est très différent de la peau humaine : la peau est pigmentée et dense. Nous avons dû repenser les étapes de dépigmentation, de clarification, mais aussi d’immunomarquage », explique Léa Pechtimaldjian.
Muriel Cario, spécialiste de la pigmentation et co-manager d'Aquiderm, a contribué à l’optimisation de l’étape de bleaching : « Retirer la mélanine sans altérer la structure du tissu était un défi. L’objectif était de garder intact l’échantillon tout en le rendant transparent. »
Une fois la peau rendue transparente, l’équipe a pu imager en 3D la totalité du réseau vasculaire de la tumeur. « Ce qui nous apparaissait auparavant comme un arbre vasculaire très riche était en réalité trois lobules vasculaires entortillés. La visualisation en 3D change donc complètement la donne », raconte François Moisan.
Des données objectivées par la 3D
Au-delà de l’imagerie, le protocole Skin-iDISCO+ permet une analyse quantitative fine des caractéristiques vasculaires.
« L’histologie conventionnelle repose beaucoup sur l’interprétation visuelle. En reconstruisant les structures en 3D et en extrayant des paramètres morphologiques (longueur, densité, diamètre), on peut appuyer nos observations sur des données objectives », souligne Léa Pechtimaldjian.
Ces analyses s’appuient sur des logiciels spécialisés, avec des images pouvant atteindre 100 Go par échantillon. « Le protocole est long, un marquage dure en moyenne un mois. Mais il nous donne accès à une cartographie vasculaire incomparable ».
Des retombées au-delà de la peau
Le protocole Skin-iDISCO+ est aujourd’hui reconnu, et a été sélectionné parmi les meilleurs protocoles de l’année et publié sur le journal STAR Protocols. Une figure de l’article représentant le réseau de collagène de la peau en 3D a été choisi comme couverture de l’Editors Collection 2024
|Figure représentant le réseau de collagène de la peau en 3D - STAR Protocols
Ce protocole a déjà permis d’identifier des protéines clés sécrétées par les télocytes, impliquées dans la régression tumorale. L’objectif à long terme ? Ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques en complément du propranolol.
Les applications du protocole dépassent le cadre de l’hémangiome ou même de la peau : « C’est un outil qu’on peut transposer à d’autres tissus humains. La vascularisation est essentielle dans toute tumeur solide. Observer son organisation en 3D peut changer la compréhension que l’on a d’une pathologie » conclut l'équipe.
*Crédit scientifique : Léa Pechtimaldjian, Muriel Cario, Jérémie Teillon, Sébastien Marais, Sébastien Dupichaud, Hamid-Reza Rezvani, François Moisan.
Consultez le protocole Skin-iDISCO+
Sur la photo, de gauche à droite : Muriel Cario, François Moisan et Léa Pechtimaldjian