Le Pr. Martin J. Blaser est l’un des plus grands experts mondiaux dans le domaine microbiome humain, pouvez-vous nous présenter ses travaux ?
Le Pr. Martin J. Blaser est un microbiologiste spécialisé dans les infections à Campylobacter et Helicobacter.
Sa carrière connait 3 grandes périodes de recherche : il a d’abord participé à démontrer la pathogénicité et la diversité des bactéries du genre Campylobacter avant de s’intéresser à Helicobacter pylori, découvert au milieu des années 80. Il a d’ailleurs été l’un des premiers à découvrir le facteur de virulence majeur de H. pylori, qui est l’oncoprotéine CagA. Depuis la fin des années 2000, il étudie le microbiote et son impact sur la santé humaine.
Le Pr. Martin J. Blaser, qui a plus de 700 publications à son actif, a écrit des articles assez novateurs pour l’époque en démontrant notamment que l’infection à H. pylori dans les 5 premières années de la vie d’un individu pouvait le protéger contre des pathologies de type asthme ou allergie. En revanche, au fur et à mesure de l’évolution cette infection, elle devient néfaste à l’âge adulte et peut évoluer vers un ulcère gastrique ou duodénal ou un adénocarcinome gastrique.
Il a ainsi découvert que certaines bactéries de notre tube digestif nous permettent de nous protéger contre les bactéries pathogènes, d’éduquer notre système immunitaire et de produire des vitamines. Selon lui, la disparition de certaines bactéries au sein du microbiote digestif de l’homme contribue à l’émergence dans les pays industrialisés de pathologies comme l’asthme, les allergies, l’obésité ou les maladies auto-immunes. En collaboration avec son épouse, il a comparé le microbiote d’habitants de pays occidentaux avec celui d’habitants de la forêt amazonienne et a montré que la modernisation s’associait à une perte de la diversité du microbiote. Ce concept a été développé dans « Missing microbes » publié en 2014 et traduit en une vingtaine de langues. Le Pr. Martin J. Blaser met ainsi en cause les antibiotiques, qui bien qu’ils aient été une avancée majeure dans l’infectiologie liée aux infections bactériennes et ont amélioré le niveau de vie de l’homme, ont en même temps participé à diminuer la diversité de notre microbiote et donc à diminuer des bactéries qui avaient un rôle protecteur face à des maladies. Il a également réussi à mettre en évidence que cette perte de diversité de microbiote pouvait se transmettre d’une génération à une autre puisque le microbiote d’un nourrisson est déjà biaisé car il se construit à partir de celui de sa mère.
Les travaux du Pr. Martin J. Blaser sont assez novateurs, quel concept développe-t-il actuellement ?
Le Pr. Martin J. Blaser évoque l’idée qu’il faudrait peut-être penser à conserver nos selles pour potentiellement pouvoir reconstituer notre microbiote, celui d’un enfant par exemple après un traitement antibiotique et ainsi le protéger à l’avenir de l’émergence de certaines pathologies.
Sa femme et lui participent d’ailleurs à l’initiative « The Microbiota Vault'-Initiative », qui vise à préserver la diversité microbienne en créant une une bio-banque internationale de stockage et de conservation du plus grand nombre de micro-organismes possibles. Ceci pourrait potentiellement être important pour la santé humaine afin de préserver ce qu’il est encore possible sauvegarder de notre microbiote intestinal par anticipation d’une aggravation de la perte de diversité.
Pourquoi avez-vous souhaité que le titre de Docteur Honoris Causa de l’Université de Bordeaux soit remis au Pr. Martin J. Blaser ?
Martin J. Blaser est un chercheur incontournable sur Helicobacter. J’ai eu la chance d’aller étudier le microbiote dans son laboratoire pendant 5 mois en 2017 et donc de le côtoyer de près. De même, le Pr Claire Roubaud (Gériatre au CHU de Bordeaux et membre de mon équipe INSERM) a passé 12 mois chez Martin J. Blaser en 2016 afin d'étudier, dans un modèle murin, l'impact des antibiotiques sur la composition du microbiote comme facteur de susceptibilité à des pathogènes intestinaux.
La nomination du Pr. Martin J. Blaser en tant que Dr Honoris Causa sera la parfaite démonstration de l’intérêt grandissant pour la thématique du microbiote au sein de notre communauté. L’Université de Bordeaux pourra être fière d’honorer un médecin et microbiologiste de renom. Son expertise internationalement reconnue dans l’étude des résistances aux antibiotiques, et dans l’étude du microbiote en lien avec des pathologies infectieuses, chroniques ou inflammatoires de l’homme seront autant d’opportunités pour notre Université et notre CHU d’établir des collaborations internationales pour ses cliniciens et enseignants chercheurs intéressés par ces thématiques afin d’élargir leurs champs de compétences.
Le Pr. Martin J. Blaser a un parcours prestigieux et a participé à former de grands noms de la microbiologie. Né dans le Bronx, passionné d’art et de photographie et doté d’une grande culture générale, ce chercheur sait rendre accessible ses travaux. Il propose d’ailleurs d’intervenir à l’occasion de la remise de son titre en septembre 2021 dans une conférence plénière intitulée « Bad germs and good: understanding our complex and ancient relationships with microbes ». Alors qu’un nouveau virus incontestablement pathogène circule dans le monde, le monde est à bout de souffle pour comprendre pourquoi et comment cela s'est produit. Comment cet envahisseur (SARS-CoV-2) a-t-il surmonté nos défenses immunitaires ? Comment arrêter ses ravages et mieux se préparer pour le prochain, qui viendra sûrement ? C'est une question de temps. Et pourtant, la plupart du temps, nous vivons avec une immense communauté de microbes, notre microbiote, généralement en harmonie.
Le Pr. Martin J. Blaser interviendra également en mars prochain lors de la seconde édition de la MicrobioDay.